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Le sport face au mur : un témoignage depuis le camp d’Aïda

  • FSGT_ProjetPalestine
  • 25 juin
  • 6 min de lecture

Dans le cadre de numéro spécial de juin de la revue Sport & Plein Air – Palestine, nous avons recueilli le témoignage de Mustafa AlAraj, coordinateur du Centre de Jeunesse d’Aïda, camp de réfugié·es encerclé par le mur de séparation à Bethléem.


Ce récit, publié ici dans son intégralité, illustre avec force ce que signifie construire une politique sportive populaire en territoire occupé. Il s’inscrit dans le cadre du projet de coopération décentralisée que nous menons avec les villes de Grenoble, Grigny, Bethléem et le camp d’Aïda.


« La machine de guerre israélienne domine la scène en Cisjordanie, étouffant la vie quotidienne des habitants. Le climat de violence empêche toute forme de normalité : les incursions, les destructions, les assassinats, les expulsions forcées et les arrestations arbitraires se succèdent jour après jour dans les villes, les villages et en particulier dans les camps de réfugiés.


En parallèle, les massacres de masse se poursuivent à Gaza dans une brutalité sans précédent. Les villes palestiniennes vivent actuellement l'une des périodes les plus violentes de l’occupation. Cette réalité génère une peur constante, un profond sentiment d’insécurité psychologique et un climat général d’instabilité pour la population.


La violence de l’occupation se concentre particulièrement sur le déplacement des réfugiés et l’effacement de l’identité des camps, comme c’est le cas dans les camps situés au nord de la Cisjordanie. Arrestations massives, destructions de maisons et déplacements forcés s’y multiplient. Le sentiment du réfugié palestinien a changé : du rêve du retour dans son village d’origine, il est passé à la peur d’un second exil. Le camp de réfugiés, autrefois perçu comme un espace de retour différé, est désormais menacé de disparition. Il est de plus en plus évident que l’occupation cherche à effacer l’identité palestinienne, à transformer ces camps – bastions de résistance, foyers d’espoir et pépinières de leaders étudiants, syndicaux et politiques – en quartiers pauvres et marginalisés, dépourvus des conditions minimales d’une vie digne.


Le camp de réfugiés d’Aïda n’échappe pas à ce contexte répressif quotidien. Situé au nord de Bethléem, il abrite environ 5 500 réfugiés palestiniens. Comme d’autres camps en Cisjordanie, il fait face à une réalité particulièrement difficile, aggravée par sa situation géographique. Entouré par le mur de séparation, le camp est bordé d’un côté par une base militaire israélienne et des tours de surveillance, créant un climat permanent de peur et d’insécurité.


Le camp subit régulièrement des incursions nocturnes, des arrestations, des fouilles de maisons, des tirs à balles réelles et des gaz lacrymogènes. Les menaces visent également les personnes engagées dans le travail communautaire, salariés comme bénévoles. Toutes ces pratiques compliquent considérablement le travail des structures locales, entravant la mise en œuvre de programmes sociaux ou la création d’espaces sûrs pour les activités sportives et éducatives. Malgré les efforts pour former une génération consciente, engagée et capable de porter le changement, le contexte sécuritaire rend cette mission extrêmement difficile.


En 2023, le président du comité populaire, le directeur exécutif ainsi que plusieurs employés et volontaires du Centre Jeunesse d’Aïda ont été arrêtés, alors même que nous travaillions à créer un espace sécurisé permettant aux filles et aux garçons de participer à des activités sportives. Cet espace, le seul du camp dédié à ce type d’activités, est ainsi devenu, la plupart du temps, inadapté pour mettre en œuvre les programmes en toute sécurité.

À la suite de plusieurs échanges constructifs entre les partenaires locaux du programme et la FSGT, une nouvelle feuille de route a été définie. Des plans concrets ont été élaborés pour répondre aux besoins spécifiques du contexte sportif dans le camp d’Aïda.


Il a été décidé que le programme ciblerait prioritairement les filles, en raison du manque d’opportunités sportives qui leur sont offertes et du sentiment général de marginalisation qu’elles subissent. Ce choix découle de notre profonde conviction que le sport est un outil puissant pour le développement des communautés, ainsi qu’un levier essentiel pour la santé physique et mentale des filles, en particulier dans les zones confrontées à des défis sociaux et à des conditions de vie difficiles sous occupation.


Les activités sportives ont ainsi constitué une véritable bouffée d’oxygène pour les filles, en leur permettant de sortir de l’isolement, de renforcer leur confiance en elles et de s’intégrer davantage. Le programme est mis en œuvre avec l’appui d’une travailleuse sociale, qui accompagne les participantes selon une approche structurée, intégrant un soutien psychologique, la levée des barrières sociales et psychologiques, et la création d’un espace sécurisé leur permettant de faire face aux normes culturelles et de bousculer les stéréotypes liés à la participation des filles au sport.


La mise en place d’un environnement sportif, sain et bienveillant contribue à l’émergence d’une nouvelle génération de jeunes femmes conscientes, instruites et confiantes. Cela favorise également, à long terme, leur accès à des postes de responsabilité et de décision, participant ainsi à la construction d’une société plus juste et égalitaire.


Le projet sportif mené en partenariat avec la FSGT revêt une importance particulière en permettant l’inclusion des filles du camp d’Aïda, âgées de 8 à 16 ans, dans les activités sportives. Cette initiative répond à un enjeu central : augmenter le taux de participation des filles dans un contexte où celui-ci ne dépasse généralement pas les 10 %, en raison d’activités sportives traditionnellement centrées sur les garçons. Le projet a donc offert une réelle opportunité d’élargir la participation féminine. 


Grâce à l’implication de différentes tranches d’âge dans l’école de filles d’Aïda et à la formation de groupes sportifs au sein du Centre Jeunesse d’Aïda, nous avons pu organiser, au cours de l’année écoulée, des rencontres sportives hebdomadaires réunissant environ 200 filles du camp et des zones avoisinantes. Cette dynamique a contribué de manière significative à accroître la participation des filles dans le domaine sportif.


Le changement de perception de la pratique sportive a également joué un rôle clé dans l’élargissement de la participation. À rebours de l’idée dominante selon laquelle le sport serait réservé aux compétiteurs expérimentés, notre projet a proposé une approche alternative, fondée sur la participation collective, l’égalité et le droit de chacun·e de jouer, indépendamment du niveau ou du résultat. Cette approche a permis à des filles, qui pensaient ne pas être faites pour le sport, de découvrir leurs capacités et de prendre plaisir à l’activité. 


À titre d’exemple, une des participantes avait initialement refusé de rejoindre les séances, convaincue que "le sport n’est pas fait pour les filles" et qu’elle n’était pas capable de jouer. Grâce à la persévérance des animatrices et à l’intervention de l’assistante sociale engagée dans l’inclusion des filles marginalisées, cette participante est devenue par la suite l’une des plus motivées et assidues du groupe.


L’introduction de nouvelles disciplines sportives, telles que le frisbee (ultimate) et l’athlétisme, a également suscité un plus grand intérêt chez les enfants et renforcé le soutien des familles et des acteurs locaux. Cela contribue à ancrer durablement cette démarche inclusive en faveur d’un sport plus juste et plus accessible à toutes et à tous.


À la suite d’une formation dispensée par la FSGT à un groupe de jeunes femmes volontaires du camp d’Aïda, dans les domaines de l’animation sportive au sol et de l’organisation d’événements sportifs, le nombre d’animatrices sportives qualifiées dans le camp est passé à vingt. Elles disposent désormais des compétences nécessaires pour encadrer les activités.


Grâce aux équipements et outils sportifs mis à notre disposition, nous avons pu former cinq équipes sportives réparties sur différents lieux : le terrain du camp, l’école de filles d’Aïda, et le Centre Jeunesse d’Aïda, où se déroulent régulièrement les activités sportives.


Cependant, un défi majeur persiste : le manque d’espaces adaptés, qu’il s’agisse de terrains ou de salles couvertes, souvent inadaptés pour accueillir des activités sportives. Malgré cela, le projet a permis, au cours de l’année passée, de toucher directement environ 200 jeunes filles, en créant des environnements dynamiques, sécurisants et stimulants.


Les méthodes de travail réfléchies, le soutien des partenaires, l’implication de l’équipe et l’utilisation des installations du Centre de Jeunesse d’Aïda ont été des facteurs décisifs dans l’atteinte des objectifs globaux du projet.


Cette expérience a profondément changé notre vision du sport : il ne se résume plus à la compétition, à la victoire ou à la défaite. Il est devenu un droit, un espace équitable pour tous, notamment pour les groupes marginalisés comme les filles. Les difficultés rencontrées dans le camp – en premier lieu liées à l’occupation – n’ont pas freiné notre élan, elles nous ont au contraire poussés à imaginer d’autres perspectives, d’autres projets porteurs de valeurs humaines qui défendent la dignité et le droit de chacun·e à la vie et à la participation.


Rien ne résume mieux cette expérience que le nom même de notre projet : "Sport pour toutes et tous". »

 

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